Une deuxième porte s’ouvre à nous lorsque Sr Rhona Burns, Fille de Jésus à Paris, raconte comment son engagement auprès des personnes en situation précaire l’a poussée à grandir en humanité.
Derrière la porte beige
La porte était beige il y a cinq ans mais, après avoir été tagué et repeinte, elle est devenue plus qu’un peu miteuse. N’empêche que, si vous sonnez, vous serez accueilli avec un grand sourire et invité à pénétrer dans un espace de fraternité à taille humaine. C’est la porte d’entrée à La Bagagerie Cœur du Cinq, une de dix bagageries à Paris où les hommes et femmes en situation précaire peuvent mettre leurs effets à l’abri et en sécurité.
On propose 54 casiers de grande taille, accessibles pendant deux heures le matin et deux heures le soir, tous les jours de l’année. Ainsi les « accueillis » peuvent circuler pendant la journée sans le souci de
- trainer des sacs lourds,
- se voir refuser l’accès aux structures comme les bibliothèques,
- la peur d’être volé.
“Chez eux”
En même temps, c’est beaucoup plus qu’une sorte de ‘consignes’. Outre les casiers, nous offrons un espace où ils peuvent entrer, se protéger du froid ou de la pluie, s’asseoir et se reposer un peu. Ils peuvent boire un café ou un thé, parler de tout et de rien, passer du temps devant l’ordinateur à faire des démarches ou simplement à se détendre. Ils ont la possibilité de stocker des aliments dans le réfrigérateur ou de réchauffer quelque chose dans le four à micro-ondes.
Tout ce que moi, je considère comme acquis, par exemple l’accès à une toilette et à un lavabo, est apprécié quand une personne se trouve dans la rue. En tant que « chez soi », c’est très modeste, mais c’est toujours chaleureux et accueillant.
Vers les périphéries
Contrairement au Cœur du Cinq, la Bagagerie ne dispose pas de travailleur social salarié. Tout dépend d’une équipe d’une quarantaine de bénévoles intergénérationnels et internationales. Les membres d’équipe sont arrivés là par des voies différentes – le bouche à oreille, la Fabrique de la Solidarité, l’Ordre de Malte, le Secours Catholique.
Comme Monique, j’ai choisi de rejoindre l’équipe parce qu’elle correspond à un élément central de notre charisme, « d’honorer l’humanité Sainte du Fils de Dieu »(Règle de Vie no 3). En particulier, c’est une manière de vivre une des orientations de notre Chapitre générale de 2016 :
« à sortir de nous-mêmes et de nos habitudes,
à interroger nos vies confortables pour faire place en nous
à une compassion active et aimante. » (P. 9)
‘Active’ est le bon choix de mot parce que, depuis les cinq ans que je suis là, j’ai contribué avec les autres bénévoles à faire les permanences, les achats, la préparation des feuilles de présences, les statistiques, le ménage, la lessive, les réunions. L’année prochaine je serai la trésorière, à la recherche de subventions et à équilibrer le budget. D’où viennent deux de des surnoms qui m’ont été donnés par les accueillis, ‘Rhona, la fourmi’ et ‘Madame propre’.
Oui, je donne, mais je reçois beaucoup plus de cette collaboration et partenariat entre bénévoles. Oui, quelque fois ça frotte et ça chauffe entre nous, mais c’est par conviction et par volonté de faire changer le monde. L’équipe est riche en expérience et compétences que l’on met ensemble. Je salue et remercie tous les membres pour ce qu’ils ont partagé avec moi et pour les liens que nous avons tissés.
Vers un Eglise sans frontières
Cependant, les liens que j’ai tissés avec les personnes que nous accueillons sont les plus importants pour moi. Ils font résonner en moi un deuxième appel du Chapitre général 2016 :
« à être bousculées dans nos préjugés et nos habitudes
pour évoluer dans nos mentalités
et changer notre regard sur l’autre différent. » (P. 11)
Les accueillis arrivent de tous les continents, chacun avec sa couleur de peau, sa culture, sa langue, sa religion. Chacun(e) a une expérience de vie et un parcours particulier à lui / à elle. Toute cette diversité m’interroge et me bouscule quelque fois. Je râle quand la cuisine est sale, quand les casiers débordent, quand ils laissent la lessive suspendue sur les radiateurs. De temps en temps il faut calmer les tensions et les rares « rififis », et montrer preuve d’autorité. Mon troisième surnom est ‘Le Commandant’ mais en réalité, c’est parce que je partage l’expérience d’avoir été soldat avec un des accueillis. Chaque fois qu’il arrive on se salue !
Je peux vraiment dire que je reçois plus des accueillis que je leur donne. De temps en temps, je reçois des petits cadeaux – ça peut être un sandwich ou une boîte de sardines mais ça vient du cœur. Sur un autre niveau, ils m’offrent les cadeaux de :
- leur capacité à se débrouiller et à surmonter des épreuves.
- la richesse d’autres façons d’appréhender le monde.
- le dialogue avec des cultures et des origines différentes des miennes.
Toute une éducation
Ils m’interpellent sur ma manière de vivre la sobriété et de confronter la galère de la pandémie actuelle. J’ai appris beaucoup sur la religion islamique et sur la compassion active de la communauté musulmane. J’ai bien aimé parler de comment « ça se fait » dans d’autres pays et dans d’autres cultures.
Merci à tout ce monde ! Et vous qui êtes arrivés à la fin de cet article … si vous avez envie de nous rejoindre comme bénévole, ou de faire pareil en dehors de Paris, je vous encourage à oser le pas. Vous verrez que la porte s’ouvrira sur des découvertes surprenantes.
Sr Rhona Burns fj
Paris, France
Merci Rona pour la richesse de ton partage !
Mt Karna
Merci Rhona pour ce partage de vie. Ce donner et recevoir c’est formidable ! Marie-Claude
Merci à toi et Monique pour ce partage. Bravo pour votre engagement envers les périphéries! Quel stimulant!