Sœur Henriette DANET lutte contre la fracture numérique
Henriette DANET, Fille de Jésus au Cameroun, soucieuse de la communication dans le pays et passionnée des nouvelles technologies, a réussi en collaboration avec d’autres, à faire installer une grosse antenne qui permet à beaucoup de Camerounais d’avoir accès à internet.
Cette initiative d’Henriette ne rejoint-elle pas l’intuition des fondateurs de la Congrégation ?
Pierre Noury, nommé à Bignan où il cumule les fonctions de curé et de Maire, a pour hantise le désenclavement des campagnes. En faisant tracer des routes, il allait permettre aux villages les plus dispersés de sortir de l’isolement… Et si Pierre Noury a le projet de créer des écoles, c’est pour apprendre à lire, à écrire et ainsi ouvrir des chemins pour accéder au savoir et apprendre à communiquer.
Depuis ce temps-là, les techniques ont fait des pas de géant mais l’intuition demeure et traverse les siècles.
’article suivant a été écrit par Claire LESEGRETAIN, journaliste à
« La Croix », article paru le 23 04 09.
«C’est notre tour Eiffel à nous ! » Les sept Filles de Jésus de Kermaria (1) – trois Françaises, trois Camerounaises et une Québécoise – qui vivent à Mvolyé, à proximité de la grande basilique de Yaoundé, s’amusent en parlant de l’immense mât métallique qui surplombe leur maison. Toute une histoire que ce mât, dressé à plus de 50 mètres de haut !
Conçu et fabriqué par Pepino, un artisan italien « génial », il n’a pu être hissé sur la terrasse de la communauté des sœurs que grâce à une grue spéciale. « Ce fut une gageure de trouver la seule grue, dans tout Yaoundé, qui pouvait monter si haut ! », explique Sœur Henriette Danet avec l’humour et l’aplomb qui la caractérisent.
« Pour envoyer un e-mail, ça prenait une demi-heure »
Un premier essai, avec une grue plus petite, s’était conclu par un échec, laissant la tour Pepino penchée contre le toit de la maison. Pendant quelques semaines, les religieuses ont essuyé des quolibets sur leur « tour de Pise »… Mais aujourd’hui toutes sont fières de leur antenne, représentant un coût total de 15 millions de francs CFA (23 000 €) et visible loin à la ronde.
À l’origine de tout cela : Sœur Henriette Danet. Cette théologienne de 73 ans, qui enseigna l’ecclésiologie à la Catho de Paris (2), avait pris l’habitude d’Internet dans de précédentes responsabilités en Côte d’Ivoire (1993-2001) et aux Antilles (2002).
Arrivée en 2003 à Yaoundé, elle constate une carence presque totale en possibilité de communication.
« Pour envoyer un e-mail, ça prenait une demi-heure, quand ça marchait », se souvient-elle.
« De plus, il y avait peu de téléphones portables, interdits à l’époque par le gouvernement. »
Une enquête du ministère camerounais des télécommunications confirmait, en septembre 2006, que seuls 0,037 % des Camerounais avaient accès à l’Internet.
Fibre optique
Passionnée par les nouvelles technologies, Sœur Henriette décide alors, avec six autres communautés religieuses sur la colline de Mvolyé (spiritaines, Marie-Notre-Dame de Montréal, Sainte-Marie de la Présentation…), d’acheter un VSat, grosse antenne pour se connecter à un satellite. Coïncidence : elle reçoit un don spontané d’un prêtre suisse…
En juillet 2004, le signal Internet arrive sur la colline de Mvolyé.
« Ce fut la fête ! », lance-t-elle en riant.
Peu à peu, d’autres congrégations avoisinantes (jésuites, Frères des écoles chrétiennes, Sœurs hospitalières, Foyer Espérance…) ainsi que divers établissements catholiques (comme le dispensaire de Vogt-Ada) s’y intéressent et le petit groupe initial grossit rapidement, prenant le nom d’Association de soutien au désenclavement numérique (ASDN).
« Cela exigeait la construction de relais pour étendre la distance», poursuit la religieuse.
En 2007, les technologies évoluant, le groupe d’une trentaine de membres décide de se connecter par la fibre optique – et non plus par satellite.
Seconde coïncidence : de passage dans un grand magasin d’informatique à Paris, Sœur Henriette tombe sur un chercheur indien, qui s’intéresse à son projet et envoie à Yaoundé une équipe de quatre techniciens asiatiques.
« Pendant deux semaines, ils ont revu tous nos équipements ; ce sont eux qui ont pensé nos deux autoroutes wi-fi. »
Une de ces autoroutes va vers Nkolbisson, la colline où est située l’Université catholique d’Afrique centrale (Ucac). Ces ingénieurs indiens mettent également en place un système de contrôle par relais pour empêcher le piratage : « Nous sommes, je crois, les seuls aujourd’hui à Yaoundé, et sans doute au Cameroun, à disposer d’un tel système. »
Du coup, après avoir renforcé les équipements, il faut étoffer l’équipe avec l’embauche de six techniciens, dont quatre sur Yaoundé.
« Nous sommes fières d’avoir créé des emplois », souligne Sœur Henriette.
Cette même année, l’association ASDN est légalement déclarée (3), inspirée du projet du ministère européen des affaires étrangères pour le désenclavement numérique, tandis qu’une dizaine d’antennes relais sont mises en place à travers le pays.
« Pour les zones inaccessibles à la fibre optique, nous maintenons la connexion par satellite, même si c’est plus compliqué. »
Parallèlement, la question d’une tour se pose. En 2004, un premier mât de 45 m avait été dressé mais, deux mois plus tard, une tornade le brise. « J’en ai pleuré : nous avions mis toutes nos économies là-dedans », sourit aujourd’hui la dynamique religieuse bretonne. L’étape suivante a consisté à se brancher sur l’antenne de Radio Jeunesse, appartenant à l’archevêché de Yaoundé, mais le coût de location était prohibitif et les ondes pâtissaient d’interférences.
Don de Bolloré
Il devint donc nécessaire d’entreprendre la construction d’une nouvelle tour, plus haute. C’est chose faite désormais, grâce à Pepino : « On n’a pas lésiné sur la solidité », résume Henriette Danet en faisant défiler sur son ordinateur les photos de l’installation puis de l’inauguration du mât, en présence d’un évêque membre de l’ASDN, d’une dizaine d’ouvriers et du président du groupe Bolloré Télécom.
Sœur Henriette, que rien n’arrête, a en effet réussi à contacter Vincent Bolloré, qui lui a fait un don et lui a délégué un de ses bras droits en décembre dernier. « Le président de Bolloré Télécom nous a encouragées à créer une société civile, ce que nous avons fait aussitôt. »
Le groupe Tojel Télécom, branche de Tojel Constructions (du nom du chef camerounais de l’entreprise), est ainsi né. « Mais c’est l’ASDN qui garde le contrôle de la gestion, précise la religieuse, avec ses objectifs de développement numérique et social, selon un code éthique signé par tous les adhérents. » Et c’est l’association qui reçoit les dons.
Encore des développements possibles
Étape suivante, en cours de réalisation : faire arriver la fibre optique directement sur l’antenne principale de Mvolyé. Le monopole de distribution de la fibre optique est détenu par une société d’État, Camtel, dont les tarifs d’abonnement sont exorbitants.
Celle-ci vient cependant de consentir à l’association un tarif plus raisonnable. Et puis, compte tenu des conditions techniques et climatiques assez rudes, il faut un suivi quotidien du serveur central et des sites des autres régions.
On aimerait disposer d’un stock de matériel suffisant pour la maintenance et le développement de nos réseaux », signale Sœur Henriette Danet, rappelant que faire venir du matériel d’Europe coûte cher du fait des énormes frais de douane. Avec cinq sites au Cameroun (Yaoundé, Ngaoundal, Ebolowa…) et aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’adhérents, la Tojel Télécom est pourtant en voie de gagner son pari.
(1) Cette congrégation apostolique, fondée en 1834 à Bignan (Morbihan), compte actuellement un millier de religieuses réparties dans 13 pays sur trois continents.
(2) Elle est l’auteur, notamment, de
L’Église, tout simplement (Éd. Ouvrières, 1992)
et de Signé d’une croix. Une histoire des sœurs (Desclée, 1990).
(3) Sœurs de Charité Mission catholique, Mvolyé BP1489
Yaoundé, Cameroun 00.237/22.31.36.16),
et Œuvres d’Afrique,CCP: 7097 02 W Paris
Filles de Jésus, 9-11, rue d’Arras 75005 Paris.
C. LESEGRETAIN
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