Conférence du Père Annequin (2-3mars 2013)

 

SERVICE DE LA FRATERNITE et VIE RELIGIEUSE

D’une manière générale, le charisme fondamental de la vie religieuse dans l’Eglise est de symboliser la nouveauté chrétienne de la fraternité. Elle est en quelque sorte le « tube à essai » de la fraternité. Avant de faire quelques réflexions sur vie-religieuse et fraternité, je veux dire quelques mots sur la nouveauté chrétienne de la fraternité.

I – Nouveauté chrétienne.

La question est celle-ci : que se passe-t-il quand les efforts de fraternité solidaire vécus dans la sécularité de la vie et de la société rencontrent la nouveauté évangélique ? Eh bien ! Il se produit un bouleversement radical. Je souligne ici 3 aspects de cette « métamorphose »

La fraternité comme don reçu

La fraternité comme promesse

La fraternité comme créativité.

1 la fraternité reçue comme un don.

Quand pouvons-nous dire que nous passons de la nuit au jour, des ténèbres à la lumière ? En nous appuyant sur la révélation biblique, nous pouvons dire : quand voyant venir vers moi un être humain, je reconnais en lui un frère ; alors à coup sûr je suis passé des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie. Saint Jean dit : « Celui qui aime son frère est déjà passé de la mort à la vie. »

La fraternité est à l’origine. Il n’y a qu’en elle que nous pouvons accéder à l’humanité, devenir humain. Elle nous précède ; elle est consubstantielle à Dieu, qui est communauté d’amour, Père, Fils et Esprit Saint. (Voir Livre de la Genèse 1, 26-31). « Faisons l’homme à notre image … Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa : mâle et femelle il les créa ». Parmi toutes les créatures, seuls l’homme et la femme sont créés à l’image de Dieu. Qu’est-ce qui est « à l’image » de Dieu, c’est la relation, l’altérité, l’ouverture à l’autre. La fraternité est donc une relation primordiale dans laquelle l’humain surgit de la Parole de Dieu. Dans la suite du récit de la Genèse, ce qui détruit l’humain, ce qui brise la fraternité originelle « à l’image de Dieu », c’est la brisure du lien fondateur (cf. Caïn et Abel) Et puis il y a l’interdit fondamental (Genèse 2,16-18) Dieu plante au milieu de nos relations l’arbre dont le fruit n’est pas à manger. Cet interdit il peut se comprendre ainsi « Tu ne mangeras pas l’autre » L’autre n’est pas consommable. La relation n’est pas un objet de consommation. La fraternité n’est pas vendable.

2 – la fraternité : une promesse

Nous sommes des êtres en devenir. « Être à la ressemblance » est notre vocation. C’est pourquoi, je parle de promesse. Sur la base du don, il s’agit de devenir ce que nous sommes.

La fraternité en butte aux forces du mal.

La fraternité est le don le plus précieux de notre humanité. C’est pourquoi elle est vulnérable et peut être corrompue par les pires perversions. C’est là où nous sommes les meilleurs et dans ce que nous avons de meilleur que nous sommes les plus fragiles. C’est pourquoi la fraternité est aux prises avec les forces du mal et de la mort. Les lieux de son combat sont ceux où la vie est la plus fragile et la plus menacée. Pierre Claverie, l’évêque d’Oran assassiné parlait des « lignes de fractures de notre société ». C’est sur ces lignes de fractures que Jésus s’est totalement compromis, auprès des laissés pour compte de son temps. La promesse de la fraternité est donc destinée prioritairement à ceux qui sont les plus exploités, dominés, opprimés, marginalisés. Et à tous ceux qui sont engagés à leurs côtés. Où sommes-nous situés pour qu’adviennent les promesses de la fraternité ?

Servir l’émergence d’une fraternité nouvelle.

A la source de la fraternité évangélique, il y a une geste prophétique scandaleux : le lavement des pieds (Jean 13). Jésus prend la place et le rôle de .l’esclave qui faisait un travail de « merde ». Pierre est effectivement scandalisé. Les représentations bien pensantes de Dieu volent littéralement en éclats. Jésus brise le cercle de la domination, de la soumission. Le geste de l’esclave brise la logique de la hiérarchie des places dans la société. Jésus inaugure le régime de la nouvelle fraternité entre les hommes par une inversion des rôles, en prenant la place de l’esclave, en se situant du point de vue de celui qui n’est rien. Il renverse complètement la logique de l’émergence de la fraternité par une pratique subversive. Il faut mesurer ce que cela engage du point de vue de la logique de la fraternité chrétienne.

-sous le signe d’une altérité marquée par la Croix

Il n’y a pas de fraternité sans un sentiment d’une profonde égalité. Pas de fraternité sans égalité. Pas de fraternité qui mettrait d’une façon ou de l’autre quelqu’un au dessus de l’autre. En Jésus, Dieu s’est fait notre égal (Cf. Philippiens 2) Mais quand en christianisme on parle d’égalité, on inclut altérité. Jean 13 nous invite à penser les relations d’égalité en termes d’altérité (et non pas seulement en termes de diversité ou de différence). Le dialogue avec l’Altérité oblige à une relation qui déstabilise, qui dérange, qui dépayse radicalement. En Christ la promesse de fraternité est paradoxale. Elle inclut la Croix qui casse les mystifications ou illusions de fraternité. Elle introduit une contestation des constructions humaines de la fraternité

3 – la fraternité, source de créativité.

En gros, on peut distinguer 3 modèles du « vivre ensemble »

-le modèle de la cohésion

-le modèle du projet commun

-le modèle de la reconnaissance mutuelle.

Dans le modèle de la cohésion, le moteur du vivre ensemble, c’est l’origine commune et le sentiment d’un sentiment d’appartenance à une même famille. Qui fait de nous des frères.( fraternité comme don)

Dans le modèle du projet commun, c’est le partage des mêmes convictions et la tension commune pour construire un avenir meilleur qui nous fait frères (fraternité comme promesse, projet de vie)

Dans le modèle de la reconnaissance mutuelle, l’avenir est problématique, les solidarités ont explosé, les appartenances incertaines. Notre identité de frères passe par la rencontre, la reconnaissance mutuelle, la lutte pour la reconnaissance.

Les trois modèles coexistent en nous et sont nécessaires à la vie en société. Et c’est cela qu’il faut symboliser.

Ils sont en résonnance avec trois figures de l’Eglise mis en relief dans Vatican II : « Eglise, Corps du Christ », « Eglise Peuple de Dieu », « Eglise Temple de l’Esprit ».

II – la vie religieuse dans la nouveauté chrétienne de la fraternité.

Je disais au début de l’exposé : la vie religieuse est le tube à essai de la fraternité, de sa nouveauté chrétienne. « Tube » à essai parce qu’elle est toujours en train d’essayer, d’expérimenter des formes de fraternité qui soient d’une part à la ressemblance de Dieu et d’autre part en phase avec notre modernité.

1 – vie religieuse comme symbolisation et identification des essais de fraternité

Par le mode qui lui est propre la vie religieuse a comme responsabilité d’être elle-même en quelque sorte le changement que nous voulons pour le monde. Elle doit être au cœur du monde un lieu d’identification en acte du monde des béatitudes. Il y a une dimension symbolique dans la vie religieuse en ce sens qu’elle symbolise dans un mode de vie tous les essais de fraternité qui se cherchent dans la sécularité de la vie.( cf. l’exemple de la Visitation de saint Etienne et les travailleurs en grève « vous vivez ce pour quoi nous luttons »)

Elle symbolise les trois dimensions exprimées dans la partie précédente : la fraternité comme don, la fraternité comme promesse, la fraternité comme servie, vécue dans la sécularité de la vie et par le Peuple de Dieu.

Donc deux mots pour qualifier la place de la vie religieuse dans le service de la fraternité : symbolisation, rôle d’identification : elle cristallise dans un mode de vie les fraternités vécues.

Dans ce sens, je crois qu’on peut réfléchir à nouveau frais le sens des vœux religieux dans une perspective systémique. Ils peuvent être compris et vécus comme un pôle de vigilance de la sauvegarde de l’humain, u pôle de vigilance de la fraternité véritable, une posture à vivre pour incarner dans la vie le monde des béatitudes.

-chasteté dans le célibat : posture de disponibilité à celles et à ceux qui subissent des amours dévalorisants, voire destructeurs. Expression intériorisée d’une compassion solidaire, d’une proximité évangélique avec celles et ceux qui réclament par leur cri et leur silence une espérance d’amour authentique.

-obéissance : posture de disponibilité à ceux qui subissent des dominations insupportable dans le travail, des oppressions idéologiques, politiques et religieuses. Posture de proximité avec ceux qui résistent et font de leur résistance une forme d’obéissance à la vie, aux droits humains d’égalité, de liberté, à la dignité.

-pauvreté : posture de proximité avec les pauvres du monde, une insurrection prophétique contre les veaux d’or d’aujourd’hui, contre la barbarie et la folie financière qui emprisonnent nos sociétés.

2– la trilogie républicaine : liberté – égalité – fraternité vécues dans la nouveauté chrétienne.

Cette trilogie est notre manière séculière d’incarner la fraternité. Nous situons la nouveauté chrétienne dans ce contexte culturel.

Tout d’abord une remarque sémantique : on parle de liberté de la presse, de la liberté de pensée, de la liberté de conscience, de religion etc. On parle de l’égalité des sexes, de l’égalité des chances, des salaires Mais on ne parle pas de la fraternité de ceci ou de cela. Les trois ne se situent pas sur le même plan.

Si on regarde l’histoire des derniers siècles et les grands systèmes mondiaux qui ont dominé le monde et se sont affrontés : le capitalisme et le socialisme réel de l’Est, on se rend compte sommairement de ceci : le capitalisme a misé sur la liberté : liberté d’entreprendre, liberté de penser, liberté de la presse etc.… Mais il y a eu et il y a encore un énorme déficit d’égalité. Le socialisme réel de l’Est a misé sur l’égalité de tous. Mais il y a eu un déficit énorme de liberté.

Pour qu’il y ait les conditions de la fraternité, il faut que les deux : liberté et égalité marchent ensemble et se croisent. Liberté et égalité sans être la condition suffisante de la fraternité en son néanmoins la condition nécessaire.

Cela peut nous donner à réfléchir pour la mise en œuvre de « Diaconia- Servons la fraternité », remarque que j’ai faite à François Soulage (président du Secours Catholique, « pilote national » de Diaconia. Pourrons-nous être réellement au service de la fraternité si nous ne sommes pas avec ceux qui luttent pour l’égalité et la liberté ? concrètement dans les associations, les syndicats, les mouvements politiques ?

Là aussi la vie religieuse peut trouver une pertinence renouvelée. Il y a une cohérence profonde entre la trilogie républicaine : liberté – égalité – fraternité et les vœux religieux. Ils peuvent symboliser modestement certes mais avec force la nouveauté chrétienne à vivre au cœur de la sécularité du monde.

Dans nos communautés, en érigeant par le vœu de pauvreté, en mode de vie l’égalité et le partage des biens, ne faisons nous pas en quelque sorte vœu d’égalité.

Dans nos communautés, par l’obéissance nous voulons signifier par un mode de vie qu’il n’y a pas des dominants et des dominés, mais des frères et des sœurs ayant fait le libre choix de dépendre les uns des autres, et que c’est en se donnant les uns aux autres que nous sommes vraiment libres. N’est-ce pas une manière de faire vœu de liberté.

Dans nos communautés, par les vœux de chasteté qui nous délie des liens de la chair et du sang, Nous voulons faire exploser les limites de l’amour humain. N’est-ce pas avant tout faire vœu de fraternité universelle ?

Je crois que revisités, les vœux religieux vécus en commun sont d’une actualité et d’une pertinence étonnante pour vivre la nouveauté chrétienne dans la sécularité de notre société.

Comme quoi, le service de la fraternité peut nous emmener loin….

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